Les créances douteuses sont un poids dans le bilan des banques françaises depuis de nombreuses années. Culturellement réfractaires à l’idée de les céder à des experts du recouvrement, cette option apparait aujourd’hui comme une solution pour les établissements français afin d’absorber la nouvelle vague annoncée de NPL. Décryptage.
« Créances douteuses » : de quoi parle-t-on ?
Non Performing Loans (NPL), prêts non-performants, créances douteuses… C’est une réalité qui recouvre de nombreuses dénominations. Elles suscitent cependant la même réaction auprès des banques qui souhaiteraient s’en débarrasser.
De quoi parle-t-on exactement ? Il s’agit de prêts dont la probabilité de remboursement à l’établissement débiteur est infime. L’EBA, l’Autorité bancaire européenne en a fourni une définition harmonisée et considère qu’un prêt devient « non-performant » dès lors que l’emprunteur est en défaut depuis plus de 90 jours. S’y ajoutent les prêts dont le remboursement ne pourra visiblement pas intervenir sans activation de la garantie adossée.
Le ratio de ces prêts dans les bilans des banques augmente mécaniquement lors de périodes de crise économique. Leur stock, qui a atteint un record après 2008, fragilise les établissements bancaires. Elles absorbent les pertes qui en découlent ce qui impacte directement leurs fonds propres. Afin d’anticiper ces éventuelles pertes, les établissements bancaires doivent donc réaliser des provisions, dont le taux minimum est décidé au niveau européen. La mobilisation de ce capital réglementaire diminue dès lors leur capacité d’octroi de nouveaux crédits.
Les banques françaises, championnes européennes
La France tient le haut du classement européen du stock de créances douteuses. Au troisième trimestre 2020, il s’élevait à 125,4 milliards d’euros selon les données de la Banque centrale européenne. Loin derrière, l’Italie qui était pourtant première en 2019 n’affiche plus que 98 milliards d’euros de stock de NPL. La Grande-Bretagne comptabilise pour sa part 60,6 milliards d’euros de créances douteuses.
Est-ce à dire que les banques françaises sont les mauvaises élèves du domaine ? Pas nécessairement. Sur 10 ans, on observe que les volumes sont restés stables. Mieux : le ratio de NPL dans le stock global des banques diminue depuis 2013 et s’établit aujourd’hui à 2,8 % des encours totaux, en deçà de la moyenne européenne.
A la veille de la crise, fin 2019, les établissements tricolores étaient même parvenus à réduire de moitié leurs stocks de NPL, et ce en moins de 4 ans.
L’amorce d’une révolution culturelle sur les NPL ?
Si les banques françaises comptabilisent plus de 21 % du stock européen, c’est qu’elles subissent encore les conséquences de la crise de 2008 qui avait vu l’explosion des prêts non performants. C’est aussi, notamment, une question culturelle.
A la différence de leurs consœurs européennes, les banques françaises n’ont jamais eu pour habitude de céder leurs créances douteuses, un point aujourd’hui devenu handicapant. Historiquement, elles ont toujours préféré conserver ces créances et les traiter en interne quitte à perdre en rentabilité.
Une question d’image à laquelle les banques britanniques, allemandes ou nordiques ne sont par exemple pas confrontées. Ces dernières n’hésitent pas à externaliser leur gestion et à céder leurs NPL afin de ne pas davantage impacter leurs fonds propres.
Une crise qui rebat les cartes
Dans cette optique, le Ministère de l’Economie et des Finances demande depuis plusieurs années aux banques d’augmenter leurs réserves afin de faire face à une vague de créances douteuses imprévue. Une vague qui pourrait venir de la crise sanitaire et économique que connaissent les économies mondiales depuis plusieurs mois.
Les établissements français doivent-ils dès lors s’inquiéter ? La Banque de France est la première à rappeler que les stocks français bénéficient d’une « faible sinistralité » car principalement constitués de prêts portant sur le financement de l’habitat.
Pourtant, l’Autorité bancaire européenne alerte sur la « détérioration de la qualité des actifs » ces derniers mois. La hausse prévue des défaillances d’entreprises devrait entraîner une augmentation des créances douteuses. Alors que le stock européen de NPL était estimé mi-2020 à 500 milliards d’euros, il pourrait s’élever fin 2021 à 1 400 milliards d’euros. En cause, l’ensemble des créances de « stade 2 », pas encore considérées comme des non performing-loans mais susceptibles de le devenir très rapidement.
Céder ses créances : la solution optimale ?
Avec la hausse des impayés et donc des créances douteuses dans les bilans des banques, une question structurelle se pose pour ces dernières. Des discussions sont déjà l’œuvre avec les pouvoirs publics afin de modifier les critères techniques définissant ces créances et donc limiter leur poids.
De plus en plus d’établissements envisagent cependant une solution pérenne en cédant une partie de leurs stocks à des experts du recouvrement. Ce choix présente plusieurs avantages : réduction du poids des NPL dans les bilans, optimisation des sommes recouvrées, accompagnement par des professionnels… Et pour cause : en 2021, 10 milliards d’euros de NPL devrait être cédés les banques, soit 40 % de plus qu’en 2020 où l’on dénombrait 7 milliards d’euros de cessions.
Une donnée a priori sous-estimée. C’est une particularité du marché français : le nombre de cessions « de gré à gré », échappant aux statistiques, est important. Le marché atteindrait en effet près de 20 milliards d’euros.
« L’arrivée d’une nouvelle vague de NPL va poser des questions structurelles aux banques qui auront intérêt à se concentrer sur les moins « douteuses » de leurs créances dont le remboursement sera plus aisé. Pour les autres, les professionnels du rachat et du recouvrement de créances apparaissent comme une vraie solution et un soutien expert au service des banques françaises » explique Louis Bauvillard, Directeur Général de Cofag & Associés.
Cession de NPL : comment s’y prendre ?
Pour une banque désireuse de céder ses créances, il existe plusieurs possibilités :
- La cession directe en « un bloc »: l’établissement procède à un appel d’offre auxquels divers professionnels répondent afin de racheter en bloc un stock de créances douteuses.
- La cession en « forward-flow »: l’établissement cède dans ce cas son portefeuille au fil de l’eau sur la base d’un prix convenu à l’avance.
Dans les deux cas, un audit préalable du portefeuille est nécessaire afin de dresser un aperçu du stock, de ses caractéristiques et des probabilités de recouvrement.
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